Concours & crowdsourcing, ou l’esclavage moderne

Par , Le 12 octobre 2013 (Temps de lecture estimé : 5 min)

Un titre démago et racoleur ? C’est pour dénoncer une pratique d’autant plus racoleuse, et surtout à la limite de la légalité : le crowdsourcing, plus connu sous le mot concours.

aetherconcept esclavage moderne

Image générée par nos soins via une IA.

J’abordais déjà le sujet rapidement dans mon article sur les demandes de gratuit. Le crowdsourcing peut prendre plusieurs formes, mais dans le cas présent, nous nous limiterons à celle qui nous pose problème. Voici comment ça se passe avec le graphisme, et plus largement certaines professions indépendantes.

Imaginons

  • Tout commence par une personne, totalement innocente et ne s’étant pas posé plus de questions que ça. Appelons cette personne Jean Saisrien. Faute d’avoir un budget suffisant, ou alors dans le but d’avoir une prestation pro pour trois fois rien, Jean Saisrien va sur un site de crowdsourcing. Sur ce site, il va formuler sa demande, en expliquant les tenants et aboutissants, fixer une date limite et le prix à « gagner ».
  • Ensuite, vient le professionnel, souvent tout juste sorti d’école, tout frais, pas un rond en poche. Appelons-le Jonathan Rienquedescacahuètes. Celui-ci commence à ronger les meubles de son appart’, faute d’avoir à bouffer dans le frigo. Jonathan Rienquedescacahuètes, dont le book est aussi vide de projets réalisés hors école que peut le casier judiciaire de Mère Teresa, se dit « Chouette, du boulot ! Au pire, je pourrai mettre ça dans mon book ! »
  • Jean Saisrien commande un logo et un flyer. 10 jours pour les réaliser. Prix du concours à gagner : 500 euros, plus les restes de son repas de la veille dans un doggy bag écolo. Maintenant, des Jonathan Rienquedescacahuètes, vous en mettez 10, 50, 100… Peu importe : chacun va se ruer sur ses crayons, son clavier, sa souris, et travailler à une proposition pour satisfaire le client l’organisateur du concours. Le nivellement se faisant par le bas à cause de la concurrence instaurée entre les participants, beaucoup donneront énormément d’eux pour remporter celui-ci, même si le prix réel du travail accompli n’est pas au rendez-vous.
  • Jean Saisrien regarde les différents projets que Jonathan Rienquedescacahuètes et les autres esclaves ont réalisés. Il choisit celui qui lui plaît et récompense son auteur des 500 euros et du dogy bag écolo promis. Les autres ? Nada. Ils auront travaillé pour rien, et continueront à manger le pied de leur table de salon jusqu’au prochain concours. Mais le vainqueur est aussi perdant : il ne sait pas comment sa création sera réutilisée, car il n’est pas nécessairement l’exécutant des supports dont Jean Saisrien aura besoin plus tard. Son image risque alors d’être associée à des jobs aux rendus parfois très approximatifs. D’ailleurs, il en va de même pour les perdants : aucune garantie que leurs travaux ne soient pas réutilisés ou revendus.
  • Enfin, le dernier protagoniste de l’histoire, Aboul Lefrique. Celui-là, il représente l’entreprise qui va gérer le site de crowdsourcing. Sur ce site, il va éventuellement y ramener des clients, mais surtout, il va prendre une commission au passage. Au final, M. Lefrique n’aura absolument rien fait en dehors de l’organisation d’une soirée hype pour faire croire que lui et les siens sont branchés.
    Pardon, on me dit dans l’oreillette qu’en fait, Aboul Lefrique utilise le principe du crowsourcing pour sélectionner les professionnels qui vont organiser la soirée (coucou Creads). Donc en vrai, il ne fait rien du tout. Il gagne sa vie sur le dos des autres.

Plus sérieusement

Maintenant que j’ai étalé toute mon amertume sur cette pratique, voici le fond du problème : ce type crowdsourcing nivelle les gens vers le bas en les mettant en compétition pour des sommes dérisoires. Ce qui, au passage, décrédibilise les métiers exploités, car beaucoup de gens n’ont pas conscience des enjeux que ça implique. Allez expliquer le coût du savoir-faire à un client quand celui-ci a découvert le crowdsourcing…
Plus ce procédé est utilisé, plus les gens s’orientent naturellement vers ces solutions pensant qu’agences et indépendants sont des charlatans vu la différence de prix. À tort.

Bilan des courses : un nivellement par le bas, seul le participant vainqueur est rémunéré, et une profession est un peu plus décrédibilisée. Je vous laisse adapter le concept à la construction d’une maison ou à un repas de mariage. Impensable, n’est-ce pas ?

Attention, il ne faut pas vilipender le crowdsourcing en soi : si les participants étaient mis en collaboration et tous rémunérés, nous obtiendrions des résultats de grande qualité ! Mais ce qui intéresse M. Lefrique, c’est le profit. Et le crowdsourcing bien utilisé ne lui est pas profitable. Tous les concours ne sont pas à bannir, certains ont des conditions de participation tout à fait louables et honnêtes.

J’invite maintenant Creads, Brand Supply et consort, à se poser une question toute simple : que ferez-vous quand l’URSSAF se saisira du problème et aura défini cette pratique comme du travail dissimulé ? Car c’est ce qu’elle est, avec les risques que les commanditaires et participants encourent eux aussi. Je vous laisse poser la question à votre comptable.

Pour aller plus loin

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Sébastien DROUIN

Consultant en communication croisé zèbre, designer graphique, ingénieur de formation, AI prompt engineer. Je mange des IA au petit déjeuner et je permets aux entreprises de multiplier leurs ventes grâce au web 🤖

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